AurOres
Ce programme Aurores propose un voyage dans la musique française du XXe siècle. A travers les saisons et les états d’âme, nous cheminons avec cette musique fraîche, chaleureuse et humaine du chant de la nuit jusqu’au renouveau de la nature. Cette nature consolatrice invite au sublime et fait la part belle à la compositrice Lili Boulanger, à la création de Valérie Philippin autour d’une lettre d’amour de Hector Berlioz à Estelle Fornier, et bien sûr à la sensibilité.
Au lendemain d’une opération destinée à la soulager de la tuberculose, Lili Boulanger écrivit une émouvante pièce, notamment par son titre hautement symbolique : D’un matin de printemps, qui laisse la part belle à l’espoir d’un renouveau. La jeune compositrice, emportée à 24 ans par la maladie, fut la première femme à avoir remporté le Prix de Rome de composition musicale. Les chœurs avec piano de ce programme doivent beaucoup à l’archétype du chœur d’essai pour ce concours : en quatre ou cinq minutes, il s’agit pour le musicien d’évoquer la quintessence d’un poème. Ainsi, La source ou Pendant la tempête sont proches de l’évocation impressionniste de la nature, tandis que Renouveau ou Soir sur la Plaine, écrits sur des poèmes des parnassiens Armand Silvestre et Albert Samain, entrent davantage dans l’introspection sentimentale et saisissent par la captation de l’instant présent par la subjectivité de la musicienne.
Au delà de son prétendu académisme, la question du chœur de dimensions brèves devient un genre propre aux français et verra dans ce domaine un espace de création inscoupçonné. Gabriel Fauré, qui avait écrit pour son prix de composition à l’Ecole Niedermeyer le Cantique de Jean Racine, reviendra au genre avec les Djinns qui constituent l’une de ses pièces les plus célèbres en ce domaine, avec sa disposition en accumulation, puis sa dissémination dans le silence de la nuit. L’arrangement par Denis Rouger de l’une des premières mélodies du compositeur, le Papillon et la fleur, toujours sur un poème de Victor Hugo, en relève l’harmonie par des touches délicates d’écriture polyphonique.
A l’instar de Claude Debussy, Maurice Ravel écrivit trois Chansons pour chœur a cappella dans une veine évoquant la musique française de la Renaissance. Nicolette, de caractère naïf, est une fable cynique à l’apologue sarcastique, tandis que Trois beaux oiseaux du Paradis évoquent la guerre (l’œuvre fut écrite en 1916) sur un ton interrogatif et rêveur. Enfin, Ronde clôt ce triptyque d’une manière ironique : « N’irons plus au bois d’Ormonde », chante le chœur, avec une liste encyclopédique d’êtres imaginaires.
Comme Ravel, Berlioz eut à essuyer à plusieurs reprises des échecs au Prix de Rome. Il n’en est que plus connaisseur du chœur accompagné, ce dont témoigne La Mort d’Ophélie, écrite à l’origine pour soliste et piano en 1842, sur une ballade d’Ernest Legouvé qui s’inspire du récit que fait la reine Gertrude de la fiancée d’Hamlet, à l’acte IV de la pièce de Shakespeare. Quant au chœur « O mon âme », qui conclut l’Enfance du Christ op. 25, celui-ci appelle à quitter nos orgueils terrestres pour aspirer au « céleste séjour ».
C’est à l’âge de douze ans que Berlioz tombe amoureux d’Estelle Duboeuf, qui a six ans de plus que lui. Amour impossible, dont on a des souvenirs inavoués dans la Symphonie Fantastique. Mais près de cinquante plus tard, Berlioz retrouvera Estelle, désormais veuve Fornier, avec laquelle il entretiendra une brève correspondance. La pièce de Valérie Philippin met en valeur ces échanges, nés d’une aurore amoureuse et s’achevant dans le crépuscule de deux vies passionnées.
Enfin, deux chœurs de Lili Boulanger concluent ce programme dans un esprit d’universalité : la Vieille Prière Bouddhique en appelle à l’absolu dans une lente procession litanique, tandis que l’Hymne au Soleil, sur un poème de Casimir Delavigne, invite à la contemplation d’une aube renouvelée : « L’univers plus jeune et plus frais, Des vapeurs de matin sont brillants de rosée. », témoin d’une espérance constante en un renouveau vers le meilleur.
Guillaume Le Dréau, musicologue, formateur au CNSMD de Lyon.
Lili Boulanger (1893-1918)
Renouveau
La source
Pendant la tempête
Sur la plaine
Vielle prière bouddhique
Hymne au soleil
Gabriel Fauré (1845-1924)
Les djinns
Le papillon et la fleur; op 1/1
Maurice Ravel (1875-1937)
Trois chansons
Hector Berlioz (1803-1869)
Ô mon âme
La mort d’Ophelie
Valérie Philippin
Création / commande sur une lettre de Berlioz à Estelle Fornier
Spirito
16 chanteurs-ses
Thibaut Louppe Direction
Ninon Hannecart-Ségal Pianiste